Haïti : En route vers la démocratie.

Publié le par Lamartine Valcin dit Mariental

Après plus d’un siècle et demi d’histoire marquée par l’absolutisme et la cupidité des dirigeants, le peuple haïtien entrevoit la démocratie comme le seul sésame vers un système politique pluraliste. Assoiffé de liberté, il veut en faire un point de départ au lieu de la considérer comme un aboutissement. Le pays s’engage sur une voie difficile et étrange et doit revoir l’ensemble de ses lois. Et l’obstination finit par s’ouvrir sur un nouveau départ.
Pour changer l'image schématique de l'État et passer à la démocratie, le 10 mars 1987, le peuple décida de créer une nouvelle société en ratifiant une nouvelle constitution intitulée constitution de 1987 encore en vigueur aujourd’hui dont la préambule est basée sur les droits humains. Ce qui a donné naissance à une république démocratique à trois pouvoirs indépendants:

  • Un exécutif représenté par la présidence et le cabinet ministériel formé et dirigé par le premier ministre qui est le chef du gouvernement. Il s'agit donc d'un système bicéphale comme la France.
  • Un législatif qui regroupe la chambre des députés et le sénat et qui fait et vote des lois.
  • Un judiciaire exercé par la cour de cassation, les cours d'appel, les tribunaux de première instance et les tribunaux de paix. Son rôle est d'interpréter la loi dans son sens strict pour faire régner la justice.

Cette république théoriquement bien définie est ce qu’on appellerait dans le langage politique des français, la deuxième république car depuis la création de la première république haïtienne par Alexandre Pétion en 1806 Haïti en dépit de nombreux régimes politiques qui se sont succédé, n’a connu jusqu’en 1987 qu’un système de gouvernement, une république à deux pouvoirs : un exécutif représenté par le président de la république et un sénat qui élut le chef de l’Etat.
La deuxième dans la pratique de la première en 25 ans d’essai, se révèle être une véritable machine à régression pour la nation haïtienne. Le peuple se trouve incessamment submergé par le chaos et l’Etat perd presque tous ses moyens de fonctionner. Ce nouveau socle légal adopté par le peuple n’a jusqu’ici abouti à rien de concret. Il suffit de considérer le désordre qui règne au sein des institutions de l'État réduit au fil du temps en l'État de Port-au-Prince, l'état de dégout de la capitale et le nombre considérable de paysans haïtiens qui traversent les frontières dominicaines tous les jours pour aller travailler dans les champs et le bâtiment à Saint-Domingue à titre de main-d’œuvre à bon marché. Selon les chiffres avancés par certains médias, ils seraient au nombre d'un millions aujourd’hui et ces chiffres grossissent tous les jours. Or Haïti dispose d’une superficie arable de 2.756.000 hectares dont 900.000 hectares sont cultivés et seulement 92.000 hectares sont irrigués.
L’explication est simple, c’est que Haïti n’est jamais passée ni à la démocratie proprement dite ni à la deuxième république. Autrement dit l'État n’a pas subi ce changement radical au niveau de ses institutions. Elles conservent toutefois des traces indélébiles de la dictature. Les lois sont votées certes, mais pas appliquées. Existe-t-il de démocratie sans règle? A la différence de la dictature, la démocratie renvoie au civisme, à l'application des lois, au respect des droits humains et à la justice. Elle se fait en marchant. On trouve toutefois dans une démocratie un noyau d'un devenir commun mis en place par l'État central afin de faciliter la liberté d'opinion et de conscience et la culture du vivre-ensemble, qui se forge peu à peu au fil du temps. Ainsi le partage des valeurs démocratiques essentielles est mis en perspective entre les différentes composantes de la société. En Haïti, on est essentiellement dans le contraire. La démocratie est donc confondue à la liberté de faire n’importe quoi. Cette confusion accablante n’empêche pas la tenue d’élection même s’il est vrai qu’il faut obéir à la constitution. Nous sommes un peu pris au piège par les principes de base de la démocratie qui ne sont pas tout à fait entrés dans nos mœurs, avec une confiance peu mesurée dans nos dirigeants à un point tel que la démocratie nous déstabilise dans nos certitudes quant au développement du pays. Le scrutin qui se déroule la semaine prochaine, est peut-être pour nous une occasion de plus de créer notre propre système de gouvernement, notre propre modèle démocratique, un État de droit vraiment libre et indépendant. Il semble pourtant difficile d’échapper à la routine et à cette sollicitation qui mène aux urnes quand la démocratie est héritée d’une dictature qui l’absorbe profondément. Chaque année devant la tribune de l’ONU, Haïti et tant d’autres petits pays, pour ainsi dire se font noter comme étant des mauvais élèves en démocratie. Il est cependant compliqué de contester cette hypocrisie. Jusqu’à présent les petits pays sont jugés en fonction des paramètres ayant peu à voir avec leurs conditions de vie. Comment des peuples accoutumés pendant des siècles à l’autoritarisme pourraient-ils en un clin d’œil se convertir au pluralisme ? Les puissances occidentales ont leur lourde responsabilité dans la difficulté des Haïtiens et d’autres peuples à progresser en démocratie. Elles prônent par-ci par-là la tenue d’élection comme unique clef de la démocratie. Quitte, d’ailleurs à fermer les yeux sur les truquages qui les arrangent et renverser des élus qui les dénoncent.
Le moment n’est-il pas venu de réfléchir plus profondément à notre autonomie, à notre vulnérabilité, à notre souveraineté et à ce que signifie faire un choix démocratique ?

Lamartine VALCIN

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